Mon Dieu qu'elle est vieille, et pourtant qu’elle est belle, posée là sur le drap.
Sa peau diaphane se perd dans la blancheur des lieux et mon esprit se perd dans la froideur du jour. À quelques mètres d’elle, l’infirmier que je suis observe les détails d’une usure délicate.
Dans chacune de ses rides, je devine le labeur, les épreuves et la peine, les années ou les siècles. Là un pli, un repli, vont de droite et de gauche comme les ondulations d’une rivière sinueuse, comme les longs lacets d’un chemin de montagne. Les stigmates nombreux, empreintes du passé, témoignent des malheurs, des chutes et des luttes d’une vie agitée. Enfin dans chaque courbe se dessinent les étreintes, les soirées passionnées et les moites caresses.
Elle est là, vieille et lasse, belle et nue sur le drap.
Je suis là, tout près d’elle, et suffoque en silence sous ce blanc tout autour. Sur le lit, sur les murs, sur la table, au plafond, sur ma blouse et mon masque.
Même le ciel est blanc, même l’instant est blanc. Pas un blanc chaleureux, pas de neige éternelle, ni de fleur de printemps. Un blanc froid et glacé, aveugle et assassin. Un blanc comme un virus qui tue insidieusement et force à s’éloigner.
D’elle je ne sais rien. Qui a-t-elle touché, ou seulement effleuré? Une sœur, des amis, des enfants dans des parcs, des danseurs hésitants, des amoureux transis? Et qu'a-t-elle porté? Des poids trop lourds pour elle, des espoirs impossibles, un mourant, un bébé? Je l’imagine douce, serviable et généreuse, soulageant les blessures de gamins turbulents, balayant quelques larmes de cœurs adolescents, offrant tout son soutien aux vieillards fatigués.
Pourrai-je un jour savoir quelle a été sa vie?
Dans la chambre d'hôpital, il y a elle posée là, offerte et vulnérable, il y a moi impuissant, si proche et bien trop loin. Je voudrais la serrer, la tenir, la sentir ou juste m’approcher. Mais un mal invisible m’en empêche aujourd’hui. Dans la chambre d'hôpital, il y a elle, il y a moi, cette folle distance, cet abîme insensé.
Il suffirait pourtant de quelques pas seulement pour doucement l’étreindre. Mais c’est une journée noire dans un blanc étouffant. Je ne suis plus moi-même, menotté, muselé, derrière un masque en toile. Comment la protéger, la réchauffer enfin, si je ne peux avancer et m’asseoir tout près d’elle?
Juste avant de partir, je me retourne et jette un ultime regard pour la toucher des yeux, une dernière fois.
Qu’elle est vieille cette main, posée là sur le drap.
Mais mon Dieu qu’elle est belle.
Sa peau diaphane se perd dans la blancheur des lieux et mon esprit se perd dans la froideur du jour. À quelques mètres d’elle, l’infirmier que je suis observe les détails d’une usure délicate.
Dans chacune de ses rides, je devine le labeur, les épreuves et la peine, les années ou les siècles. Là un pli, un repli, vont de droite et de gauche comme les ondulations d’une rivière sinueuse, comme les longs lacets d’un chemin de montagne. Les stigmates nombreux, empreintes du passé, témoignent des malheurs, des chutes et des luttes d’une vie agitée. Enfin dans chaque courbe se dessinent les étreintes, les soirées passionnées et les moites caresses.
Elle est là, vieille et lasse, belle et nue sur le drap.
Je suis là, tout près d’elle, et suffoque en silence sous ce blanc tout autour. Sur le lit, sur les murs, sur la table, au plafond, sur ma blouse et mon masque.
Même le ciel est blanc, même l’instant est blanc. Pas un blanc chaleureux, pas de neige éternelle, ni de fleur de printemps. Un blanc froid et glacé, aveugle et assassin. Un blanc comme un virus qui tue insidieusement et force à s’éloigner.
D’elle je ne sais rien. Qui a-t-elle touché, ou seulement effleuré? Une sœur, des amis, des enfants dans des parcs, des danseurs hésitants, des amoureux transis? Et qu'a-t-elle porté? Des poids trop lourds pour elle, des espoirs impossibles, un mourant, un bébé? Je l’imagine douce, serviable et généreuse, soulageant les blessures de gamins turbulents, balayant quelques larmes de cœurs adolescents, offrant tout son soutien aux vieillards fatigués.
Pourrai-je un jour savoir quelle a été sa vie?
Dans la chambre d'hôpital, il y a elle posée là, offerte et vulnérable, il y a moi impuissant, si proche et bien trop loin. Je voudrais la serrer, la tenir, la sentir ou juste m’approcher. Mais un mal invisible m’en empêche aujourd’hui. Dans la chambre d'hôpital, il y a elle, il y a moi, cette folle distance, cet abîme insensé.
Il suffirait pourtant de quelques pas seulement pour doucement l’étreindre. Mais c’est une journée noire dans un blanc étouffant. Je ne suis plus moi-même, menotté, muselé, derrière un masque en toile. Comment la protéger, la réchauffer enfin, si je ne peux avancer et m’asseoir tout près d’elle?
Juste avant de partir, je me retourne et jette un ultime regard pour la toucher des yeux, une dernière fois.
Qu’elle est vieille cette main, posée là sur le drap.
Mais mon Dieu qu’elle est belle.