lundi 12 août 2019

"Vous n'avez d'avantage que celui de la force."



Antonin Artaud, Lettre aux Médecins-chefs des Asiles de fous.
(Provenant des "Lettres" de Antonin Artaud de 1937-1943, Gallimard)
 
Une lettre d'une puissance rare, qui ne peut que nous faire réfléchir sur nos pratiques soignantes en psychiatrie... 
(A ce propos, courez voir le profil de @jessicadinkova__ sur instagram chez qui j'ai trouvé ce texte, passionnant et d'utilité publique...)


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Entre le génie et la folie, il n'y a qu'un pas...

Le Navire Mystique, Antonin Artaud, Premiers poèmes, 1913

Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus,
Et ses immenses mâts se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de Bible et de Cantiques.

Et ce ne sera pas la Grecque bucolique
Qui doucement jouera parmi les arbres nus ;
Et le Navire Saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des havres de la terre,
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’Infini.

Le bout de son beaupré plonge dans le mystère ;
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
L’Argent mystique et pur de l’étoile polaire.


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Le 30 septembre 1937, Antonin Artaud, expulsé d'Irlande, est «débarqué» au Havre. Quelques jours plus tard, il est transféré à l'asile départemental d'aliénés de Seine-Maritime de Sotteville-lès-Rouen, dans le quartier hommes de Quatre-Mares. Les lettres qu'il rédige alors décrivent avec acuité le vécu d'angoisse et de désespoir d'un aliéné, masquant son identité sous des noms d'emprunt pour manifester toutes ses récriminations avec une énergie hors du commun qui le caractérisera tout au long de sa vie. Il est ensuite placé à Paris, à l'hôpital Sainte-Anne, le 1er avril 1938 ; il y demeurera jusqu'au 27 février 1939. Les lettres présentées confirment l'état pathologique d'Artaud, son obsession : sortir de ces lieux. Malgré ses conditions de vie et d'enfermement, il ne cesse d'écrire, de dessiner, et réclame sans cesse du papier.
Après Sainte-Anne, Antonin Artaud est interné à l'asile de Ville-Évrard, où il demeurera jusqu'au 22 janvier 1943. La quantité et la qualité des documents qui sont présentés sont d'une imposante richesse sur l'état psychologique et physique d'Artaud, avec toujours cet impérieux besoin de s'exprimer malgré la maladie, les privations. Compte tenu de la misère régnant alors dans les asiles, qualifIée d '«extermination douce», et du danger que courait l'artiste, sa famille et ses amis vont réussir à obtenir un nouveau transfert pour l'asile de Paraire, à Rodez, en février 1943.
Dans ce volume sont transcrites les lettres, dans leur graphie originale, qu'Artaud a rédigées entre 1937 et 1943. Nombreuses sont celles qui furent retenues par l'administration. À Roger Blin ou à André Gide, à Balthus ou au chancelier Hitler, Artaud lance ses invectives, ses suppliques et ses cris de souffrance. Ces écrits témoignent de la puissance d'une pensée fulgurante, météorique, prophétique, géniale dans ses possibilités d'expression et de création, un réservoir d'énergie inépuisable qui va œuvrer toute sa vie, pour le conduire dans l'au-delà des rivages de la raison.  

(4ème de couverture, éditions Gallimard)






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