dimanche 7 juillet 2019

Dans les pas et les mots de Marilyn…


Il était une fois, (épisode 41), un jour, en psychiatrie, dans les pas et les mots de Marilyn…

Une pluie battante tombait sur la ville et frappait les vitres de mon petit appartement dans un vacarme assourdissant. L’été semblait loin, il faisait froid et, déjà,  je distinguais quelques fumées s’échapper de quelques cheminées..
Sortir de chez moi sous ce temps après deux semaines de vacances au soleil était une torture. Mais peu après, obligé et couvert de la tête aux pieds, j’avançais ruisselant et glacé vers le grand hôpital pour reprendre du service. Dans mon esprit résonnaient encore les concerts du soir sur la plage, le bruissement des hauts palmiers, les jets d’eau de la petite place du village et le bruit des vagues chaudes. Que j’étais bien là-bas. J’en avais presque oublié le service psychiatrique où je travaillais, la vieille façade, la porte d’entrée rouillée et les longs couloirs froids.
Les palmiers, le couloir. Deux mondes et moi au milieu.

Trempé jusqu’aux os, j’avançais porte après porte, mon chemin ponctué par le claquement de mes clés dans les serrures que j’ouvrais puis refermais machinalement derrière moi. Dans le service, la vie battait son plein. rien n’avait vraiment changé depuis mon départ, pourtant j’avais tout oublié. Du nom de certains patients que je connaissais pourtant, au code de l’ordinateur. Des horaires des repas, à ce que je devais faire. De la disposition des lieux, à ce que je faisais ici. Tout ici me semblait étranger mais ma blouse blanche m’obligeait à vite reprendre mes marques. D’ailleurs, malgré leur bienveillance, mes collègues n’avaient pas manqué de me ramener à la réalité.

“Salut Christophe, tu as passé de bonnes vacances? Bon, oublie vite le sable fin, on doit s’occuper de Mademoiselle H. Elle est en chambre d’isolement et nous appelle.”

Mademoiselle H. était une jeune patiente d’une vingtaine d’années qui avait tenté de mettre fin à ses jours une semaine auparavant. Il s’agissait pour elle d’un premier contact avec l’univers psychiatrique et cette première fois avait été particulièrement douloureuse et mouvementée. Elle avait refusé les soins proposés et menacé de se faire du mal pour sortir du service où elle était hospitalisée contre son gré. Devant l’insistance de l’équipe, elle avait alors cassé du mobilier dans sa chambre et essayé de forcer la porte d’entrée fermée à clé. Ainsi, il avait été décidé de l’accompagner en chambre d’isolement où je m'apprêtais à la rejoindre avec deux collègues.
Assise par terre, blottie sous sa couverture, elle pleurait en silence. Comme résignée. Ne connaissant pas cette patiente, je restais malgré tout sur mes gardes, tant elle m’avait été décrite comme pouvant être très agitée. Lentement, elle avait levé ses grands yeux tristes et bleus vers nous et nous avait interrogés.

“Pourquoi?”

Après m’être présenté, je m’étais inquiété auprès d’elle. Elle m’avait alors expliqué les murs froids, le service lugubre, les portes fermées, son téléphone confisqué, sa famille à l'extérieur, les autres patients qui lui faisaient peur et les remarques entendues dans l’équipe quand elle refusait de s’intégrer au groupe de patients. On lui avait-dit, m’expliquait-elle, qu’aller vers les autres pouvait lui permettre de s’ouvrir, de penser à autre chose, d’aller mieux. Mais avec force elle affirmait que non elle ne pouvait pas rester ici, non elle ne pourrait jamais être d’accord avec les médecins, et non elle n’irait pas parler avec les autres patients, ni jouer aux cartes ou participer à un quelconque atelier thérapeutique, non elle ne pouvait pas faire cet effort même si lui demandait de le faire.
Je savais pourtant, comme mes collègues, qu’en faisant ce pas vers d’autres patients, elle pourrait se rendre compte qu’ils étaient eux-aussi en souffrance, souvent bienveillants et qu’assurément ils le seraient avec elle. Elle verrait ainsi qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur, que ce service est un lieu de soin, d’apaisement, le temps d’aller mieux. Mais comment l’aider à vaincre sa peur? J’avais alors appelé à l’aide du regard ma vieille collègue Germaine, jusqu’ici restée en retrait. Mais c’était sans compter sur son originalité que je connaissais pourtant si bien mais qui m’avait encore étonné puisqu’elle avait choisi de ne pas aller dans le sens de l’équipe.

“Oh, comme je vous comprends Mademoiselle!
Moi-même, la première fois que je suis entrée dans un service de psychiatrie, il y a maintenant de nombreuses années, j’étais terrifiée… Avec tout ce qu’on raconte à la télé! Et puis il y avait des patients qui criaient si fort que je les entends encore… Un jour, l’un d'eux a brutalement jeté par terre le plateau repas que je lui avais préparé. Oui je vous comprends, peut-être avez-vous peur, j’aurais peur aussi. Ce service peut être inquiétant quand on le découvre. Mais si je peux vous avouer quelque chose, je crois que vous-même, quand vous étiez agitée, avez fait très peur à deux patientes… Ne vous inquiétez pas, je les ai rassurées et elles ont bien compris que vous n’étiez pas méchante!” expliquait-elle avec un doux sourire chaleureux.
Notre patiente écoutait attentivement cette infirmière assise par terre à ses côtés, qui lui tenait la main et aurait pu être sa grand-mère. Elle semblait absorbée par ses paroles.
Et de reprendre. “Et ce monsieur qui avait jeté son repas, je n’ai compris que plus tard pourquoi il était en colère… Depuis plusieurs jours il essayait de me dire quelque chose mais je ne lui accordais jamais le temps nécessaire. Finalement, il a eu raison de faire ça car ce jour-là nous avons beaucoup parlé! Il était très triste lui aussi. Je pense que vous êtes comme lui, triste et en colère. Alors parlons…
Peut-être aussi avez-vous peur, à moins que vous ne souhaitiez tout simplement pas échanger avec les autres. Soyez assurée que dans cette pièce personne ne vous juge. Nous sommes inquiets et nous allons prendre soin de vous en espérant que vous irez vite suffisamment mieux pour pouvoir sortir de cette chambre, puis de l’hôpital…”

Encore aujourd’hui, j’ai du mal à comprendre ce qui s’était passé à l’occasion de cette discussion. Mademoiselle H. avait beaucoup pleuré. Puis, les jours passant, elle s’était apaisée malgré la violence de l’isolement, était allée mieux et avait retrouvé les siens.
Germaine m’avait pourtant expliqué.
“Christophe, notre patiente est terrifiée. Elle ne souhaite pas échanger avec les autres patients, quelle qu’en soit la raison. Mais le problème est-il vraiment là? Car dis-moi, avoir peur ou préférer être seul signifie-t-il aller mal? Non… Alors arrêtons de la mettre en difficulté en insistant pour qu’elle se joigne au groupe et posons nous la question suivante. Et si c’était nous qui lui faisions peur en lui laissant penser que nous ne comprenons pas ses craintes ou son choix? Et si nous étions passé à côté d’elle sans la voir, sans la comprendre?
Avec Mademoiselle H., je n’ai fais que prendre du temps auprès d’elle pour lui signifier notre inquiétude. Tout simplement. Pour qu’elle ne se sente pas seule et incomprise”

J’étais perdu. Je repensais à mes vacances, à mon retour dans ce service que je ne reconnaissais plus parce que j’avais oublié la froideur des longs couloirs, à cet homme qui jette son plateau repas, à cette jeune femme apeurée par les autres patients mais aussi par l’équipe soignante, par l’institution. Mon esprit partait loin, de plus en plus loin, sur la plage, l’océan, des heures de vol, des nuages, du soleil et enfin une étoile, sur Hollywood boulevard. Celle de Marilyn Monroe…
En 1961, elle écrivait à son Psychiatre le Docteur Greenson depuis l’hôpital psychiatrique où elle était hospitalisée sous contrainte après une tentative de suicide. Dans ses lettres, elle décrivait l’enfer derrière les portes.
“Il n’y avait aucune empathie à la clinique Paine Whitney, et cela m’a fait beaucoup de mal. On m’a interrogée après m’avoir mise dans une cellule (une vraie cellule en béton et tout) pour personnes vraiment dérangées, les grands dépressifs, (sauf que j’avais l’impression d’être dans une sorte de prison pour un crime que je n’avais pas commis). J’ai trouvé ce manque d’humanité plus que barbare. On m’a demandé pourquoi je n’étais pas bien ici (tout était fermé à clefs: des choses comme les lampes électriques, les tiroirs, les toilettes, les placards, il y avait des barreaux aux fenêtres… les portes des cellules étaient percées de fenêtres pour que les patients soient toujours visibles, on pouvait voir sur les murs des traces de la violence des patients précédents). J’ai répondu: « Eh bien, il faudrait que je sois cinglée pour me plaire ici. »”

En repensant à ces mots de l’actrice et chanteuse, je comprenais mieux… “Aucune empathie”, “Cellule pour personnes vraiment dérangées”, “Manque d'humanité”…
Avais-je eu moi-même tendance à ne pas comprendre que mes patients se sentent mal ici alors que je faisais tout pour qu’ils aillent bien? Les avais-je jugés en conséquence? Étais-je passé à côté d’eux sans les voir, sans les comprendre?
Dans ses lettres, Marilyn décrit avoir jeté une chaise, cassé du verre. Comme Le patient avec son plateau repas. Comme Mademoiselle H. avec son mobilier.

Et si nous étions, nous soignants, responsables en partie de ces agitations, par manque de temps, de compréhension, d’empathie?
Je ne sais pas… Mais depuis, quand j’avance dans les longs couloirs froids de l’hôpital, je n’oublie plus que vraiment, il faudrait être cinglé pour se plaire ici…

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(Évidemment toute ressemblance…!!!)

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