Il était une fois, (épisode 3), un jour, en psychiatrie, j'ai tangué.
L'odeur était insupportable dans cette chambre d'isolement qui pourtant était propre.
Le patient attaché sur le lit me regardait de ses yeux noirs en attendant une réponse.
Et moi je tanguais.
Une migraine que je trainais depuis la veille m'avait beaucoup affaibli et rendu particulièrement sensible aux odeurs. Ainsi, en ce début d'après-midi, j'étais devenu un nez expert et douloureux, capable de reconnaître les multiples senteurs qui, au fil des années, s'étaient incrustées dans les vieux murs défraîchis.
Ici il y avait donc des vapeurs de produit d'entretien, de transpiration, d'urine et de tabac froid et quelque chose d'autre que je n'arrivais pas encore à déterminer.
Le patient devant moi avait une cinquantaine d'années et présentait un délire de persécution. Il était hospitalisé sous contrainte depuis plusieurs jours.
Une attitude perçue comme menaçante la veille avait suffisamment inquiété l'équipe entière pour qu'il soit transféré en chambre d'isolement. Devant l'agitation qui s'était alors majorée, il avait reçu un traitement sédatif injectable puis avait été contentionné aux quatre membres.
Il s'était ensuite apaisé et les collègues de nuit avait pu le soulager de deux liens le laissant ainsi un peu plus libre de ses mouvements.
Ce matin, il avait beaucoup dormi, mais depuis la fin de matinée il hurlait pour être détaché.
Inquiète d'une tension grandissante, l'équipe du matin avait préféré différer.
Lors de ma prise de poste, il hurlait toujours.
Et moi je tanguais.
La migraine battait fort dans ma tête, me faisant vaciller. Mon corps entier semblait s'imprégner de l'insupportable odeur, les yeux du patient me transperçaient et je ne savais pas quoi faire…
Dans notre fonctionnement, il était admis dans le service que nous pouvions, de notre propre initiative de soignant, et suivant notre évaluation, initier et mettre en oeuvre la décontention.
Mais quand?
Mais comment?
Que faire maintenant?
Évidemment le patient ne supportait plus mon indécision, mes doutes et peut-être mes peurs.
Plus j'attendais, plus je réfléchissais, plus son regard se noircissait…
Il me suppliait, me maudissait, me culpabilisait, me séduisait, me menaçait et finalement rendait malgré lui ma décision encore plus délicate…
Puis Germaine m'a souri.
Ma tête allait exploser quand Germaine, ma vieille collègue infirmière, a délicatement pris mon bras, m'a souri comme pour me rassurer puis s'est approchée de ce patient qu'elle ne connaissait pas.
En la voyant s'asseoir à ses côtés sur le lit, j'ai eu peur pour elle. Il s'est détendu auprès d'elle.
Elle a pris sa main, lui a parlé et dit des choses que je n'ai pas entendues, au milieu d'un brouhaha assourdissant dans mon cerveau malade qui bizarrement cherchait encore l'odeur qui manquait au bouquet…
Quelques minutes plus tard elle lui servait une tisane chaude et je laissais mes autres collègues le détacher totalement, trop inquiet pour ma part pour m'approcher de ce malade au regard noir.
Puis la fin de journée avait été très calme pour ce patient toujours très délirant, méfiant, mais beaucoup plus apaisé une fois détaché. Il était resté en chambre d'isolement mais avait beaucoup mieux supporter l'enfermement.
Germaine m'avait alors expliqué qu'elle lui avait tout simplement proposé de le détacher, et qu'il avait dit oui… Rien de plus.
Puis selon elle, la seule décontention avait créé l'apaisement. Apaisement qu'elle avait appuyé avec la tisane, comme pour restaurer ce monsieur.
Je ne savais plus.
Et s'il s'était emporté, et s'il nous avait agressé, et si nous avions eu tort..
Alors Germaine m'avait repondu que dans ce cas nous aurions géré la crise comme nous le faisons régulièrement, nous aurions appelé des collègues puis remis en place les contentions. Mais que nous devions proposer cette possibilité d'apaisement à notre patient par la décontention.
Si cela n'avait pas fonctionné, cela n'aurait pas été un échec mais un essai, un moment dans le soin.
Je me souviens d'ailleurs qu'il avait pu un peu sortir de cette chambre le lendemain mais qu'il s'était à nouveau agité le lendemain soir, ce qui nous avait malheureusement poussé à remettre en place le système de contention quelques heures.
Pas un échec. Un essai. Un moment…
Encore une fois Germaine m'avait troublé. Alors que la contention semblait pour moi contenir ce patient agité ce jour là, Germaine me montrait qu'il était peut-être agité à cause de la contention.
Comment ferai-je quand Germaine ne sera pas là? Comment évaluer? Oserai-je détacher ces patients agités?
Je ne sais pas…
Mais aujourd'hui je sais que cette décontention peut être une possibilité d'apaisement.
Le patient s'est donc apaisé, ma migraine a progressivement disparu, et maintenant je sais… L'odeur manquante…
C'était le discret parfum vanillé de Germaine, ma chère collègue.
———————
(Évidemment toute ressemblance…!!!)
L'odeur était insupportable dans cette chambre d'isolement qui pourtant était propre.
Le patient attaché sur le lit me regardait de ses yeux noirs en attendant une réponse.
Et moi je tanguais.
Une migraine que je trainais depuis la veille m'avait beaucoup affaibli et rendu particulièrement sensible aux odeurs. Ainsi, en ce début d'après-midi, j'étais devenu un nez expert et douloureux, capable de reconnaître les multiples senteurs qui, au fil des années, s'étaient incrustées dans les vieux murs défraîchis.
Ici il y avait donc des vapeurs de produit d'entretien, de transpiration, d'urine et de tabac froid et quelque chose d'autre que je n'arrivais pas encore à déterminer.
Le patient devant moi avait une cinquantaine d'années et présentait un délire de persécution. Il était hospitalisé sous contrainte depuis plusieurs jours.
Une attitude perçue comme menaçante la veille avait suffisamment inquiété l'équipe entière pour qu'il soit transféré en chambre d'isolement. Devant l'agitation qui s'était alors majorée, il avait reçu un traitement sédatif injectable puis avait été contentionné aux quatre membres.
Il s'était ensuite apaisé et les collègues de nuit avait pu le soulager de deux liens le laissant ainsi un peu plus libre de ses mouvements.
Ce matin, il avait beaucoup dormi, mais depuis la fin de matinée il hurlait pour être détaché.
Inquiète d'une tension grandissante, l'équipe du matin avait préféré différer.
Lors de ma prise de poste, il hurlait toujours.
Et moi je tanguais.
La migraine battait fort dans ma tête, me faisant vaciller. Mon corps entier semblait s'imprégner de l'insupportable odeur, les yeux du patient me transperçaient et je ne savais pas quoi faire…
Dans notre fonctionnement, il était admis dans le service que nous pouvions, de notre propre initiative de soignant, et suivant notre évaluation, initier et mettre en oeuvre la décontention.
Mais quand?
Mais comment?
Que faire maintenant?
Évidemment le patient ne supportait plus mon indécision, mes doutes et peut-être mes peurs.
Plus j'attendais, plus je réfléchissais, plus son regard se noircissait…
Il me suppliait, me maudissait, me culpabilisait, me séduisait, me menaçait et finalement rendait malgré lui ma décision encore plus délicate…
Puis Germaine m'a souri.
Ma tête allait exploser quand Germaine, ma vieille collègue infirmière, a délicatement pris mon bras, m'a souri comme pour me rassurer puis s'est approchée de ce patient qu'elle ne connaissait pas.
En la voyant s'asseoir à ses côtés sur le lit, j'ai eu peur pour elle. Il s'est détendu auprès d'elle.
Elle a pris sa main, lui a parlé et dit des choses que je n'ai pas entendues, au milieu d'un brouhaha assourdissant dans mon cerveau malade qui bizarrement cherchait encore l'odeur qui manquait au bouquet…
Quelques minutes plus tard elle lui servait une tisane chaude et je laissais mes autres collègues le détacher totalement, trop inquiet pour ma part pour m'approcher de ce malade au regard noir.
Puis la fin de journée avait été très calme pour ce patient toujours très délirant, méfiant, mais beaucoup plus apaisé une fois détaché. Il était resté en chambre d'isolement mais avait beaucoup mieux supporter l'enfermement.
Germaine m'avait alors expliqué qu'elle lui avait tout simplement proposé de le détacher, et qu'il avait dit oui… Rien de plus.
Puis selon elle, la seule décontention avait créé l'apaisement. Apaisement qu'elle avait appuyé avec la tisane, comme pour restaurer ce monsieur.
Je ne savais plus.
Et s'il s'était emporté, et s'il nous avait agressé, et si nous avions eu tort..
Alors Germaine m'avait repondu que dans ce cas nous aurions géré la crise comme nous le faisons régulièrement, nous aurions appelé des collègues puis remis en place les contentions. Mais que nous devions proposer cette possibilité d'apaisement à notre patient par la décontention.
Si cela n'avait pas fonctionné, cela n'aurait pas été un échec mais un essai, un moment dans le soin.
Je me souviens d'ailleurs qu'il avait pu un peu sortir de cette chambre le lendemain mais qu'il s'était à nouveau agité le lendemain soir, ce qui nous avait malheureusement poussé à remettre en place le système de contention quelques heures.
Pas un échec. Un essai. Un moment…
Encore une fois Germaine m'avait troublé. Alors que la contention semblait pour moi contenir ce patient agité ce jour là, Germaine me montrait qu'il était peut-être agité à cause de la contention.
Comment ferai-je quand Germaine ne sera pas là? Comment évaluer? Oserai-je détacher ces patients agités?
Je ne sais pas…
Mais aujourd'hui je sais que cette décontention peut être une possibilité d'apaisement.
Le patient s'est donc apaisé, ma migraine a progressivement disparu, et maintenant je sais… L'odeur manquante…
C'était le discret parfum vanillé de Germaine, ma chère collègue.
———————
(Évidemment toute ressemblance…!!!)
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