dimanche 7 juillet 2019

Un pyjama vert.






Il était une fois, (épisode 7), un jour, en psychiatrie, un pyjama vert.

Le vieil homme nous avait suffisamment inquiété pour que nous décidions pour sa sécurité de le transférer ce soir là dans la chambre d'isolement.
Le risque de fugue était écarté car le service des hospitalisations sous contrainte était fermé à clef mais nous craignions grandement qu'il puisse se faire du mal.
Il nous y avait suivi sans difficulté, comprenait nos inquiétudes même s'il semblait révolté.

Nous lui expliquions ce qui allait se passer, et il s'apprêtait calmement à passer la soirée dans cette pièce sordide.
Curieusement, c'est quand nous lui avions demandé de retirer ses vêtements pour mettre le pyjama vert de l'hôpital qu'il s'était soudainement effondré en larmes, nous suppliant de ne pas lui infliger cette humiliation.
Les quatre murs sales de la petite pièce fermée lui étaient étonnamment plus acceptables que le pyjama que nous devions lui faire porter.

Dans le service, le protocole, à moins que ce ne soit l'habitude, nous imposait certaines règles dans la prise en charge des patients en chambre d'isolement. Par exemple, le patient devait être fouillé lorsqu'il intégrait ce lieu de soin pour éviter qu'il n'y introduise des objets dangereux. Les repas y étaient servis avec des couverts en carton ou en plastique, les soignants devaient intervenir toujours à deux, les briquets et autres objets dangereux étaient soustraits. Toutes ces règles de sécurité nous obligeaient à une discipline sans faille.

Et il fallait porter le pyjama vert.

Le vieil homme pleurait, et dans un geste de désespoir il venait de se jeter à genou devant moi.
Il avait pris mes mains et les serrait avec force et tristesse. Il me promettait qu'il ne se passerait rien, qu'il ferait tout ce que nous voudrions, qu'il prendrait ses médicaments et ne dérangerait plus personne…
Cette situation m'était gênante et même insupportable. Devant lui à mes pieds, j'étais désarçonné et me liquéfiais progressivement. Je ne savais plus que faire

Puis le temps s'était comme arrêté, figeant ses sanglots et les larmes sur ses rides.
A cet instant, pendant quelques secondes, j'avais alors pris conscience de la singularité de cet homme qui me tenait les mains. Sa peau était marquée de nombreuses traces, de cicatrices et de sillons qui racontaient sûrement une histoire. Son histoire.
D'ailleurs qui était-il?

Je connaissais son nom, sa biographie, sa souffrance.
Mais qui était-il vraiment?
Quel homme était-il à mon âge? Avait-il fait du sport, avait-il voyagé? Quelle musique écoutait-il? Du classique, du rock? Avait-il aimé beaucoup de femmes et comment l'avaient-elles aimé en retour? Quels avaient été tous ses métiers? Quel enfant avait-il été? Comment était sa maison? Quelles étaient ses peurs, ses envies? Quel était son caractère? Drôle, sérieux, attentionné, lointain, rassurant? Quelles avaient été ses blessures? Qui étaient ses enfants, sa famille, ses amis?
Et cette question bizarre qui me venait, préférait-il marcher dans la forêt ou sur le sable?
Quelle avait été sa vie depuis sa naissance jusqu'à cet instant dans cette chambre avec moi?
Qui était-il vraiment?

Il fallait porter le pyjama vert.
Il pleurait et j'hésitais.
Je repensais au protocole, à l'habitude, aux médecins, aux cadres, à mes collègues derrière moi qui peut-être ne seraient pas d'accord, à mes autres collègues demain, aux risques, à ma responsabilité s'il se passait quelque chose.

Alertée par les pleurs du patient, et connaissant mes incertitudes, Germaine ma vieille collègue infirmière était intervenue. Comme à son habitude elle avait fait fi du protocole qu'elle jugeait inadapté à cet instant dans cette situation et avait laissé ses habits au vieil homme.
Elle avait insisté auprès de lui sur le lien de confiance qui nous liait désormais, sur notre inquiétude, notre reconnaissance de sa souffrance et notre vigilance à venir. Il s'était alors immédiatement apaisé, nous remerciant de cet écart au règlement. Cette forte bienveillance avait semblé le rassurer, comme s'il s'était senti compris. Par la suite, il avait pu s'appuyer sur nous pendant les deux jours qu'il avait passé dans cette petite pièce.

Germaine avait-elle pris des risques?
Germaine avait-elle mis l'équipe en difficulté?
Je ne sais pas… Ce qui est certain, c'est que la suite s'est bien passée et que ce Monsieur a eu un lien privilégié avec nous, un lien fort de confiance sur lequel nous nous somme appuyé nous aussi.

A ma question sur notre responsabilité, Germaine m'avait simplement répondu qu'elle préférait instaurer une relation de confiance, quitte à augmenter sa vigilance dans ce cas particulier.
C'était là notre métier selon elle, notre responsabilité consistait d'abord à apporter du réconfort, à tout faire pour créer un lien de qualité en adaptant le cadre à chaque situation.
Notre responsabilité consistait à soigner, à prendre soin…

Germaine, encore une fois, avait bousculé l'habitude…
Depuis ce jour, nous nous autorisons parfois dans le service à laisser le pyjama vert dans le placard.
Je suis toujours inquiet devant ces décisions à prendre, mais je garde en tête la confiance de Germaine et les rides du patient.

D'ailleurs je me demande ce qu'est devenu ce vieil homme.
Marche-t-il dans la forêt en ce moment, ou sur le sable?
 
———————

(Évidemment toute ressemblance…!!!)


Commentaires:

Enregistrer un commentaire