Sous la chaleur écrasante de l’été caniculaire, l’instant était
pourtant glacial. L’homme assis à mes côtés sur le petit banc en bois du
jardin pleurait en silence depuis
de longues minutes et j’étais impuissant. Quelques semaines auparavant,
il avait perdu sa compagne dans un accident de voiture, alors qu’il
était conducteur. Depuis, il avait sombré dans une profonde dépression
et avait tenté de mettre fin à ses jours, ce qui avait motivé son
hospitalisation sous contrainte dans le service
de psychiatrie.
Dans les moindres détails, il m’avait raconté la catastrophe, jusqu’à
la main de
sa fiancée qu’il avait prise dans
la sienne en attendant les secours, jusqu’au dernier regard, jusqu’au
dernier souvenir d’une vie amoureuse de dix ans. Puis, simplement, d’une
voix triste et teintée d’une certitude sereine,
il m’avait interrogé. « Pourquoi m'empêchez-vous de la
rejoindre ? Elle était toute ma vie. Comment pourrai-je survivre après
cela ? Parce que la vie continue ?
Mais quelle vie m’offrez-vous ? »
J’étais saisi par l’émotion et sans voix après sa question. J’imaginais
être à sa place, rentrer seul le soir dans un appartement sans bruit,
plier sous le poids des photos accrochées sur les murs, dormir dans un
lit froissé à moitié, sentir
le parfum de vieux pulls usés et écouter en boucle ses chansons
préférées. Que pouvais-je dire ?
Je n'avais pas les mots et doutais de ma fonction de soignant car
nous ne pourrions jamais offrir à cet homme un espoir de bonheur.
Plus tard, mon patient se réfugiait dans le sommeil, seule possibilité
de répit, et peut-être de rêverie.
Ma vieille collègue Germaine, sentant mon embarras, me rejoignait. « Christophe,
parfois les plaies sont si profondes que guérir n’est qu’utopie.
Parfois, les mots sont un écran qui ne protège que les soignants de leur
propre peur du vide. Aucune parole n’apaisera notre patient
aujourd’hui. Alors, que dire ? Et si, simplement, nous nous
taisions pour être à ses côtés, comme de silencieuses sentinelles
veillant pour sa survie en espérant l’éclaircie ? »
Après deux mois d’hospitalisation, notre patient quittait le service,
toujours aussi triste mais vivant et en sécurité chez ses parents qui
prenaient
le relais. Germaine avait raison. Depuis, j’ai moins peur du vide.
Ainsi, souvent, sous la chaleur
des étés caniculaires comme
dans le froid des hivers, assis
sur le petit banc en bois du jardin, je veille sur mes patients
en sentinelle silencieuse.
Retrouvez les précédentes aventures de Christophe : “Quelques secondes seulement”, qui narre sa rencontre avec Germaine ; “Le chant des sirènes”, qui raconte comment elle lui a appris à dompter ses peurs.
(Nouvelle parue dans L'infirmière Magazine d'Octobre 2018=
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