Laura aimait la pluie. La pluie et les rivières d’Islande, ses
montagnes en hiver, ses forêts en automne, le silence de ses églises,
l’odeur de ses ports. Elle n’avait jamais mis les pieds dans ce pays,
mais elle en était la reine. Peu lui importaient les moqueries... non,
elle n’était pas folle. Comme toutes les reines islandaises, elle était douce et prévenante. Pourtant, un jour, elle m’a griffé. Car
Laura détestait le vieil hôpital psychiatrique où je travaillais. Cent
fois peut-être déjà, elle y avait été hospitalisée sous contrainte.
Souffrant de schizophrénie, elle entendait des voix, pas toujours
bienveillantes.
Ce matin-là, après son arrivée dans ce service qu’elle connaissait pourtant si bien,
je n’avais pas su entrer en contact avec elle. Elle avait près de
cinquante ans, j'étais jeune et nouvel infirmier, à l'âge d'être son
fils. Devant sa grande désorganisation psychique, un transfert dans la
partie fermée du service s’est rapidement imposé. Comme le protocole
l’impose, j’ai tenté d’expliquer à ma patiente Reine de l’Islande la
nécessité pour elle de nous confier son sac à main qui semblait déborder
d’objets saugrenus. Mais Laura refusait et le serrait contre elle avec
force. Elle restait de marbre, et moi je doutais. Que devais-je faire ? Le protocole était clair, pas d’objet personnel. Avec toute la douceur possible, je me suis approché et j’ai délicatement tendu la main vers son sac. Mais cela a déclenché son attaque,
car l’instant d’après, j’étais marqué d’une large balafre au visage.
Laura criait au scandale, j’étais figé, nous étions dans l'impasse. « Lui
as-tu demandé ce qu’elle a dans son sac et veut à ce point garder
auprès d’elle ? », m’a alors chuchoté ma collègue Germaine.
En voyant ma vieille collègue apaiser ma patiente en quelques secondes, je compris. Laura avait peur et voulait juste garder une pomme de pin,
celle que je voulais ranger au vestiaire en suivant le protocole, celle
qui la reliait à l’Islande pour je ne sais quelle raison. J’étais allé trop vite, Germaine avait pris le temps.
Laura a gardé la pomme de pin dans sa poche pendant toute
l’hospitalisation et était rassurée. « Prends le temps, relativise et
apaise », m’a dit plus tard ma collègue avec un sourire. Le protocole
n’avait pas souffert de cet écart et surtout notre relation avec Laura
s’est immédiatement et durablement améliorée. Tout cela grâce à une
pomme de pin. À moins que ce ne soit grâce à Germaine. Ou les deux…
(Nouvelle parue dans L'infirmière Magazine de Décembre 2016)
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