Il était une fois, (épisode 6), un soir, en psychiatrie, un pansement sur deux solitudes.
La journée dans le service avait été éprouvante.
La chaleur de Juillet peut-être, ou la folie tout simplement.
Madame C. était dans sa chambre, avec un autre patient, tous les deux nus sur le lit.
Au
moment même où j'avais poussé la porte de cette chambre, où je les
avais surpris, où brutalement ils avaient interrompu leur activité
sexuelle et s'apprêtaient à m'expliquer maladroitement que ce n'était
pas ce que je croyais, je regrettais d'être entré.
Madame
C. était hospitalisée depuis près d'un mois et enchaînait les relations
amoureuses avec plusieurs patients du service. Elle était mariée, avait
deux enfants en bas âge, travaillait dans le secrétariat et était
fragile psychiquement.
Ses multiples relations sexuelles
avec ses multiples partenaires étaient assumées et ne la gênaient pas,
même dans ce lieu particulier qu'est un service hospitalier. Tout cela
nous questionnait grandement et nous mettait en difficulté dans
l'équipe. En effet, nous n'étions pas tous d'accord sur les réponses que
nous devions apporter à cette patiente que nous considérions dans
l’excès.
Certains soignants ne pouvaient accepter son
comportement sexuel parfois qualifié de déviant ou malsain, quand
d'autres se refusaient à l'interdire.
Certains rappelaient
le règlement du service qui n'autorisait pas à être à plusieurs dans une
chambre, quand d'autres fermaient les yeux.
Certains
demandaient à Madame C. de garder ses distances et de se contenir, quand
d'autres distribuaient des préservatifs par dizaines.
Certains
s'interrogeaient sur la pertinence de la poursuite de son
hospitalisation, quand d'autres au contraire considéraient qu'elle
étaient d'autant plus nécessaire.
Moi, je venais d'ouvrir la porte et Madame C. me regardait.
Nous
l'avions mise en garde sur les dangers, sur les maladies sexuellement
transmissibles. Nous avions réfléchi avec elle sur le sens de ses
conduites à risques, sur son comportement atypique ,sur sa souffrance.
Nous avions essayé de l'aider à se protéger, physiquement mais aussi
psychiquement.
Progressivement Madame C. avait pu parler
parfois d'agissements pathologiques ou autodestructeurs quand à d'autres
moments elle parlait d'une recherche de réconfort et d'affection.
Mais rien ne freinait son désir de l'Autre, son besoin de contact. Il lui était irrépressible.
Les ébats sexuels se succédaient les uns après les autres, elle semblait s'abandonner à tous et nous ne pouvions rien y faire.
Et je venais d'ouvrir la porte.
J'avais
interrompu leur relation. Le patient avait bredouillé quelques mots
gênés, puis il avait en quelques secondes bondi du lit jusqu'à la salle
de bain où il devait se rhabiller. Madame C. s'était rapidement
recouverte du drap et s'était retournée vers le mur opposé juste après
que son regard ému ait longuement croisé le mien, comme si elle avait
voulu me dire quelque chose que je ne saisissais pas.
Aujourd'hui encore je me souviens de ce regard appuyé.
Pendant des mois il m'avait interrogé.
Quel sens avait-il ? Qu'avait-elle voulu me dire ?
Ce
n'est que bien longtemps plus tard, après avoir un jour raconté cette
histoire à ma vieille collègue infirmière Germaine, que j'ai enfin
compris ce que Madame C. avait voulu me dire ce soir là.
Germaine,
avec son calme et sa sagesse légendaires, m'avait expliqué que pour
elle la sexualité à l'hôpital est une chose normale, en gériatrie, en
psychiatrie, comme dans d'autres lieux de soin. Normale comme la faim,
la soif, la mort, la vie.
“C'est la vie” m'avait-elle donc dit. “C'est la vie et ce n'est pas grave”…
Et
surtout elle m'avait raconté un film, “Frankie et Johnny”. C'était un
vieux film du début des années 90, avec Al Pacino et Michelle Pfeiffer,
dans lequel les deux personnages, fragiles, perdus et désœuvrés se
rapprochent et ont des relations sexuelles sans lendemain, comme “un
pansement sur deux solitudes”.
Un pansement sur deux solitudes…
Je ne sais pas quoi penser de Madame C. et de son comportement.
Mais maintenant je sais ce qu'elle a voulu me dire de son regard juste avant qu'elle ne se retourne.
Ses yeux tristes m'ont demandé pourquoi je n'avais pas vu la porte fermée, pourquoi j'étais entré.
En fait, elle m'a demandé pourquoi j'avais pris son pansement.
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(Évidemment toute ressemblance…!!!)
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