dimanche 7 juillet 2019

Un pansement sur deux solitudes.




Il était une fois, (épisode 6), un soir, en psychiatrie, un pansement sur deux solitudes.

La journée dans le service avait été éprouvante.
La chaleur de Juillet peut-être, ou la folie tout simplement.
Madame C. était dans sa chambre, avec un autre patient, tous les deux nus sur le lit.

Au moment même où j'avais poussé la porte de cette chambre, où je les avais surpris, où brutalement ils avaient interrompu leur activité sexuelle et s'apprêtaient à m'expliquer maladroitement que ce n'était pas ce que je croyais, je regrettais d'être entré.

Madame C. était hospitalisée depuis près d'un mois et enchaînait les relations amoureuses avec plusieurs patients du service. Elle était mariée, avait deux enfants en bas âge, travaillait dans le secrétariat et était fragile psychiquement.
Ses multiples relations sexuelles avec ses multiples partenaires étaient assumées et ne la gênaient pas, même dans ce lieu particulier qu'est un service hospitalier. Tout cela nous questionnait grandement et nous mettait en difficulté dans l'équipe. En effet, nous n'étions pas tous d'accord sur les réponses que nous devions apporter à cette patiente que nous considérions dans l’excès.
Certains soignants ne pouvaient accepter son comportement sexuel parfois qualifié de déviant ou malsain, quand d'autres se refusaient à l'interdire.
Certains rappelaient le règlement du service qui n'autorisait pas à être à plusieurs dans une chambre, quand d'autres fermaient les yeux.
Certains demandaient à Madame C. de garder ses distances et de se contenir, quand d'autres distribuaient des préservatifs par dizaines.
Certains s'interrogeaient sur la pertinence de la poursuite de son hospitalisation, quand d'autres au contraire considéraient qu'elle étaient d'autant plus nécessaire.
Moi, je venais d'ouvrir la porte et Madame C. me regardait.

Nous l'avions mise en garde sur les dangers, sur les maladies sexuellement transmissibles. Nous avions réfléchi avec elle sur le sens de ses conduites à risques, sur son comportement atypique ,sur sa souffrance. Nous avions essayé de l'aider à se protéger, physiquement mais aussi psychiquement.
Progressivement Madame C. avait pu parler parfois d'agissements pathologiques ou autodestructeurs quand à d'autres moments elle parlait d'une recherche de réconfort et d'affection.

Mais rien ne freinait son désir de l'Autre, son besoin de contact. Il lui était irrépressible.
Les ébats sexuels se succédaient les uns après les autres, elle semblait s'abandonner à tous et nous ne pouvions rien y faire.
Et je venais d'ouvrir la porte.

J'avais interrompu leur relation. Le patient avait bredouillé quelques mots gênés, puis il avait en quelques secondes bondi du lit jusqu'à la salle de bain où il devait se rhabiller. Madame C. s'était rapidement recouverte du drap et s'était retournée vers le mur opposé juste après que son regard ému ait longuement croisé le mien, comme si elle avait voulu me dire quelque chose que je ne saisissais pas.

Aujourd'hui encore je me souviens de ce regard appuyé.
Pendant des mois il m'avait interrogé.
Quel sens avait-il ? Qu'avait-elle voulu me dire ?

Ce n'est que bien longtemps plus tard, après avoir un jour raconté cette histoire à ma vieille collègue infirmière Germaine, que j'ai enfin compris ce que Madame C. avait voulu me dire ce soir là.

Germaine, avec son calme et sa sagesse légendaires, m'avait expliqué que pour elle la sexualité à l'hôpital est une chose normale, en gériatrie, en psychiatrie, comme dans d'autres lieux de soin. Normale comme la faim, la soif, la mort, la vie.
“C'est la vie” m'avait-elle donc dit. “C'est la vie et ce n'est pas grave”…
Et surtout elle m'avait raconté un film, “Frankie et Johnny”. C'était un vieux film du début des années 90, avec Al Pacino et Michelle Pfeiffer, dans lequel les deux personnages, fragiles, perdus et désœuvrés se rapprochent et ont des relations sexuelles sans lendemain, comme “un pansement sur deux solitudes”.

Un pansement sur deux solitudes…

Je ne sais pas quoi penser de Madame C. et de son comportement.
Mais maintenant je sais ce qu'elle a voulu me dire de son regard juste avant qu'elle ne se retourne.
Ses yeux tristes m'ont demandé pourquoi je n'avais pas vu la porte fermée, pourquoi j'étais entré.

En fait, elle m'a demandé pourquoi j'avais pris son pansement.

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(Évidemment toute ressemblance…!!!)

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