dimanche 7 juillet 2019

J'ai eu très froid.





Il était une fois, (épisode 2), une nuit, en psychiatrie, j'ai eu très froid.

La nuit était glaciale.
Et brutalement, le patient s'était mis à hurler.
Pour une cigarette.

C'était une nuit froide.
De celles de février, les longues, les interminables, les polaires et neigeuse!
Blottis dans le poste de soin du service, sous quelques vieilles vestes de l'hôpital usées par le temps, nous alternions nos tours de surveillance des patients endormis pour la plupart, avec quelques parties de tarots entre collègues.
Mes yeux épuisés, rougis par la fatigue, n'en finissaient plus d'essayer de déchiffrer les atouts que je ne voyais plus, sous la faible lumière du vieux néon jaune.
Quand vers 1h du matin, nous étions interrompus par la sonnette de Monsieur F. qui n'arrivait plus à dormir.

L'habitude consistait à rassurer les patients anxieux pour les accompagner jusqu'à un nouvel endormissement. Nous pouvions aussi leur proposer un traitement pour les aider à se rendormir si cela était nécessaire.
Mais Monsieur F. avait souhaité fumer.
Et cela avait considérablement compliqué les choses.
Considérablement.

Évidemment dans un service “fermé” accueillant des patients hospitalisés sous contrainte, dans un service où tabac et briquets sont gérés par les soignants, dans un service où le règlement n'autorise pas la cigarette la nuit, et ce pour multiples raisons, les choses se compliquent quand un patient souhaite fumer.
Devant notre refus de lui permettre d'aller fumer dans la salle prévue pour cela ou même dans sa chambre, et malgré nos calmes explications, Monsieur F., patient souffrant d'un gros trouble de la personnalité de type borderline et vraisemblablement très dépendant à la cigarette, s'était soudainement emporté, avait crié fort et était devenu très rapidement menaçant, exigeant que l'on reponde favorablement à sa demande.

J'étais transis de froid, et l'adrénaline, comme un coup de fouet devant cette agitation, avait redoublé mes frissons.
Je tremblais.
Monsieur F. voulait fumer, et ma partie de tarot était loin…
Tout résonnait dans ma tête…

Le cadre contenant, le règlement adapté, la continuité des soins rassurante, la cohérence de l'équipe, la constance de l'institution, le clivage, la manipulation, la maladie, mes collègues à côté et avec lesquels je devais tenir le même discours..
Et le tabac non.
La tension montait de plus en plus et nous étions tous en alerte, prêts à déclencher le système d'alarme devant l'insistance du patient, incapable de nous entendre, visiblement prêt à tout pour obtenir sa cigarette alors que nous ne pouvions lui donner.
Je me sentais comme pris dans un piège que je ne pouvais définir. Comment et vers quel chemin agité allions nous à cause d'une cigarette?

Si seulement il avait pu jouer au tarot avec nous, peut-être n'aurait-il pas pensé à cette satanée nicotine.
Évidemment ce n'était plus possible et de toute façon la partie semblait des plus compromises.
Lui nous menaçait.
Nous étions très tendus.
Moi j'étais pétrifié, de froid et d'anxiété.
Et le tabac c'était non.

Ah si, maintenant le piège commençait à prendre forme… La forme était floue devant mes yeux qui ne fonctionnaient presque plus. Mais plus on avançait et plus je la voyais.
C'était une impasse.
Comment s'en sortir?
Je perdais pied, incapable de prendre une décision salvatrice, prêt à appuyer sur le bouton rouge.
Puis, de façon tout à fait inattendue, Germaine, ma collègue infirmière, a dit oui.

Même si nous ne l'avions pas officiellement exprimé, il me semblait que l'équipe que nous étions devait et allait suivre le fonctionnement habituel du service.
Je n'y comprenais plus rien…
Et l'habitude? Et le cadre? Le protocole? Les réunions? Les règles? Le soin? La cohérence?

Quelques heures plus tard, Germaine m'expliquait l'évidence.
Tout cela n'était pas grave. Et le cadre et les règles étaient ce que nous en faisons pour aller vers un soin de qualité me disait-elle.
Le patient avait fumé puis il s'était apaisé sans traitement, et s'était rendormi.
Germaine, infirmière dans le service depuis quelques mois, venait ainsi de bousculer le fonctionnement en place depuis des années en quelques minutes.
Elle s'étonnait de mon doute, et elle m'expliquait l'évidence…
Monsieur F. dormait maintenant.

Et si Germaine disait vrai?
D'ailleurs je crois me souvenir d'avoir lu dans leurs yeux (rougis aussi!) que mes autres collègues présents à ce moment semblaient avoir été comme soulagés de la décision prise par Germaine… Un peu comme si elle avait fait ce qu'ils ne s'étaient pas autorisés à faire par eux-mêmes pour je ne sais quelles raisons…
Et si Germaine avait raison en utilisant le cadre à sa guise et en modulant certaines règles ?
Et si la prise en charge soignante d'un patient de psychiatrie devait être comme la fumée de cette cigarette qu'elle avait donnée à Monsieur F.?
Souple et impalpable.
Souple pour créer du lien. Impalpable pour n'être sujette à aucune rigidité ou pression possible.
Aujourd'hui encore je repense à cette nuit, à Germaine et à cette cigarette qui ont permis toutes les deux à Monsieur F. de se détendre, d'échanger avec nous puis de dormir à nouveau.
Ce soir là, entre lui et nous, nous avons évité un conflit qui n'était sûrement pas nécessaire, nous nous sommes rencontrés.

Le lendemain matin, à l'équipe venue prendre notre relève, j'ai dit que tout s'était bien passé, que Monsieur F. avait pu dormir après une cigarette et que j'avais eu très froid.
J'ose espérer que les yeux ébahis de certains collègues l'étaient pour mon inconfort dû au froid…
Quoi qu'il en soit, cette nuit-là Germaine n'a pas bousculé que les habitudes, elle m'a moi aussi bousculé.
J'en ai perdu ma partie de tarot.

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(Évidemment toute ressemblance…!!!)

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