L’homme assis sur le bord du lit avait l’âge d’être mon père. Une
large cicatrice marquait son visage grêlé, souvenir d’une terrible
tempête qui s’était abattue sur
le chalutier du marin pêcheur qu’il était. Ses mains usées gardaient les
traces de kilomètres de filets à tirer et, dans ses yeux, le gris
profond des mers glacées du nord. Son regard disait sa fatigue, sa
détresse et, nous ne savions pour quelle raison, sa volonté d’en finir.
Hospitalisé dans notre service
de psychiatrie depuis quelques jours en raison d’idées suicidaires,
il restait en retrait, presque toujours silencieux, ne disant
rien de sa souffrance. « Un taiseux des mers », m’avait-il dit un jour. « De ceux qui ne pleurent pas. »
Mais cette nuit, alors que les autres patients dormaient, cet
homme d’apparence rugueuse, ce taiseux qui ne pleure pas, sanglotait
sans bruit dans sa chambre, ce qui nous avait alertés. De
longues minutes durant, j’étais resté démuni devant son silence et mes
mots sans réponse. Puis, se tournant lentement vers moi, il m’avait
interpellé. « Pourrais-je fumer une cigarette dans le jardin ? J’ai besoin d’air... »
Soudain alors, j’avais douté, car
le jardin restait fermé la nuit. Que devais-je faire ? Ce patient semblait au plus mal, prêt à s’effondrer, mais je devais composer avec les portes closes et les règles du service
qui n'autorisaient guère d’écart. Quand, derrière moi, la voix de ma vieille collègue Germaine avait mis fin à mes interrogations nocturnes. « Bien sûr, monsieur. Christophe va vous accompagner, cela vous fera du bien ! » avait-elle dit en lui adressant un sourire réconfortant.
La nuit était noire, nous fumions tous les deux et ma cigarette
avait un goût amer, celui de l’incompréhension de la décision hors-cadre
de Germaine.
Mais j’avais rapidement ressenti
la tension de mon patient s’apaiser et vu ses larmes sécher. Après
quelques minutes sans échanger le moindre mot, nous étions rentrés. Il
m’avait chaleureusement remercié, dit aller mieux grâce à nous et
s’était endormi.
Puis, Germaine m’avait expliqué. « Christophe, parfois, un petit
rien suffit. Ici, c’était une cigarette, cela peut être un chocolat
chaud, une main sur l’épaule. Tout ce qui réchauffe, apaise et crée du
lien ne mérite pas d’être empêché par un cadre trop rigide. Apaise,
Christophe, et crée du lien... » Je ne sais ce que ce patient est
devenu mais je repense souvent à lui. Peut-être est-il aujourd’hui
quelque part dans le froid sur le pont d’un bateau, fumant dans la nuit
une cigarette qui réchauffe.
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