“Entends-tu les
orgues, Christophe?”
Concentré, les yeux
plissés et le visage contracté à l'extrême, je tendais avec force
mes deux oreilles mais n’entendais rien. Mon patient scrutait mon
regard et attendait ma réponse.
“Écoute” me
disait-il, “Écoute bien…”
Mais seul régnait le
silence. Dans les yeux du patient, il y avait l’espoir, dans les
miens la tristesse. Car comment lui dire ce silence sans le blesser?
Comment expliquer les hallucinations à cet homme qui souhaitait tant
partager cette musique avec moi?
Bien connu de notre
service psychiatrique où il était régulièrement hospitalisé, sa
gentillesse était immense. Au point de vouloir nous emmener avec lui
dans son monde aux milles musiques, car il se pensait grand
compositeur de musique classique.
“Alors Christophe…
Tu les entends?”
J’étais perplexe. Que
devais-je faire? Le conforter dans son délire ou le ramener à la
réalité? J’étais terrifié à l’idée de briser ses rêves de
concerto. Plus il me pressait, plus je perdais pied. Quand une autre
musique vint à mon secours, celle de la douce voix de ma vieille
collègue Germaine qui avait perçu ma gêne.
“Que se passe-t-il
Christophe? Tu n’entends rien? Ecoutons ensemble.”
m’avait-elle dit lui en adressant un sourire complice, me troublant
ainsi encore plus. La scène était surréaliste. Au milieu du
couloir, à l’unisson, nous écoutions le silence. Sauf quelques
bruits sourds, il n'y avait aucun orgue.
“Décidément, mes
vieilles oreilles me font défaut! J’entends tout et rien. Même
Jacques Brel revient dans mes pensées! Par contre, Christophe, tu
n’as aucune excuse!” avait lancé ma collègue en riant.
“Aimez-vous Jacques Brel?” avait-elle demandé à notre
patient qui délaissait soudain les orgues pour évoquer avec elle
ses souvenirs de jeunesse. J’étais stupéfait. Germaine avait
habilement dévié la conversation en employant l’humour puis,
grâce à Brel, ils avaient longuement échangé. Plus tard elle
m’avait expliqué que notre patient entendait sa musique et que
rien à cet instant n’aurait pu l’en faire douter. Que l'on peut
parfois laisser aller les choses comme elles vont, sans les brusquer,
que l'urgence est ailleurs, dans le bien être des patients et dans
notre lien avec eux qui est essentiel pour la suite des soins.
Je comprenais désormais,
prendre le temps, ne pas brusquer, créer du lien pour mieux
accompagner. Depuis, parfois, seul dans le couloir, je tends
l'oreille pour entendre, un jour peut-être moi aussi, les orgues. Ou
Brel. Comme Germaine.
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