dimanche 7 juillet 2019

J'ai dansé sur du Balavoine.



Il était une fois, (épisode 4), un soir tard, en psychiatrie, j'ai dansé sur du Balavoine.

Dans la salle de télévision, l'heure était grave.
Monsieur A. venait de prendre la télécommande et la gardait dans sa poche.
Deux autres patients avaient la ferme intention de changer de programme.
Et Arnold Schwarzenegger s'apprêtait à détruire le monde sur TF1.

Monsieur A. m'expliquait dans le détail comment la veille il avait laissé le reste du groupe regarder un jeu télévisé auquel il n'avait rien compris et qui était sans intérêt contrairement au film d'action de ce soir.

Pris dans un débat qui semblait lentement suivre le chemin d'une bataille rangée entre plusieurs patients, j'essayais tant bien que mal de garder le contrôle de cette situation télévisuelle tendue.
Mais aucun patient concerné ne venait à mon aide.
Quand le détenteur de la télécommande me disait que c'était à son tour de choisir le programme, le deuxième patient m'expliquait avec virulence que je devais faire quelque chose car ce n'était pas une façon de faire, évoquant tour à tour la démocratie et les droits de l'Homme. Le troisième homme m'inquiétait particulièrement tant son regard était noir et ses poings crispés en direction de Monsieur A.
Je craignais une bagarre imminente.
Pour couronner le tout, Madame S., patiente bipolaire en phase maniaque, dansait sur la table en chantant des tubes des années 80, me prenait le bras et m'invitait à la rejoindre.

Aucune de mes tentatives d'apaisement n'avait d'effet, entre les droits de l'Homme, Balavoine et Terminator.
Clairement je perdais le contrôle.
Tout m'échappait et mon impuissance était à la hauteur de mon désespoir.
Schwarzenegger, lui imperturbable, avançait vers son objectif, arme à la main.

La température montait, comme la tension dans la petite salle.
De façon très fugace, épuisé, perplexe et impuissant, de nombreuses idées traversaient mon esprit aux abois.
J'avais donc imaginé éteindre sur-le-champ la télévision, fermer la salle et renvoyer chacun dans sa chambre ou ailleurs, pointant au groupe le grotesque de la situation et les conséquences désastreuses pour tout le monde que cette guerre des chaines impliquait pour le confort de tous. J'avais aussi imaginé partir en courant, rentrer chez moi et ne plus jamais revenir.
J'avais même de façon un peu folle pensé monter sur le toit pour accéder aux fils électriques et couper d'un coup de pied tout le réseau comme l'aurait fait Schwarzy.
Mais je n'étais pas Schwarzenegger, et alors même que les patients allaient peut-être en venir aux mains devant moi, et que de la sienne Madame S. m'emportait dans une danse improbable, je tombais dans un état de sidération dont seule ma fidèle collègue Germaine avait pu me sortir.

Entre deux chansons et quelques coups de feu télévisés, elle avait trouvé les mots, le ton et l'attitude pour dénouer le nœud… Elle avait étonnamment réussi à se détacher du spectacle de danse et de chant que nous ne pouvions interrompre. Elle semblait en avoir fait abstraction, le rendant bruit de fond, pour mieux se concentrer sur la tension entre les trois patients. Puis avec patience, elle avait médiatisé le conflit, n'avait pas pris parti, avait relativisé, dédramatisé auprès de chaque patient.
Avec courage et persévérance, elle avait tout fait pour convaincre chacun de lâcher prise, de passer à autre chose. Cela avait pris de longues minutes de négociations, certains s'étaient estimés lésés, d'autres étaient ravis quand d'autres encore n'en avait finalement que faire….

Plus tard je restais presque ébahi devant la mesure et le calme impressionnant de Germaine au beau milieu de cette scène surréaliste et même chaotique.
Comment avait-elle fait ? Avec patience m'avait-elle répondu…
Je ne sais pas si j'aurai moi aussi cette patience… Quoi qu'il en soit, ce soir le service ne s'était pas embrasé à cause d'un film. Et sans aucun coup de feu.
Là était l'essentiel…

Finalement nous avions donc récupéré la télécommande et laissé TF1.
Sur la table Madame S. dansait toujours.
Monsieur A. s'était endormi devant le film.

Et Schwarzenegger n'avait pas réussi à tuer Sarah Connor, le monde était sauvé.

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(Évidemment toute ressemblance…!!!)

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