dimanche 7 juillet 2019

J'ai pris un coup... À mon égo.





Il était une fois, un jour, en psychiatrie, j'ai pris un coup…
à mon égo.

Le jeune patient, des plus violents et inaccessible, lors d'une forte crise clastique avait entrepris de tout casser dans le service, moi y-compris.
D'ailleurs il avait réussi, car après quelques portes brisées et des hublots éclatés, c'était à mon genou qu'il s'était violemment attaqué.

Puis rien par la suite ne s'était passé comme prévu.

Dans ces moments là, l'équipe était bien rodée et fonctionnait presque par automatisme. L'intervention physique de plusieurs soignants puis l'isolement et enfin le traitement sédatif par voie orale ou par injection était ce qui se passait généralement dans les suites de ce genre d'histoire agitée.
Généralement…

Car ce jour là, notre vieille collègue Germaine en avait décidé autrement.
Alors que nous reculions tous, elle s'était avancée.
Alors que nous organisions la réponse de l'institution à cette agitation et que nous préparions notre intervention, elle s'était soudainement avancée vers l'adolescent agité, seule, faisant fi de la décision d'équipe et des consignes de sécurité, de tous les protocoles, et de toutes les reprimandes et critiques ouvertes de ses collègues dont j'étais.

Mais force est de constater que l'effet de Germaine sur le patient avait été immédiat, fulgurant.
Après avoir croisé son regard et sa main tendue, le jeune garçon s'était avancé calmement vers elle puis s'était effondré par terre à genou, en serrant Germaine contre lui et pleurant de longues minutes.
Notre collègue venait en quelques instants de calmer ce patient difficile avec lequel nous ne parvenions plus à entrer en contact.

Nous étions tous épuisés et saisis par la violence de ce qui s'était passé avant l'apaisement. La casse, les cris, les coups.
J'étais assis par terre désormais incapable de tenir debout avec ma jambe blessée.
Avec mes collègues, nous étions incrédules, soulagés pour certains ou en colère pour d'autres de cette gestion de crise peu habituelle….

Anderson était coutumier de ces crises de violences et à force d'expérience nous pensions que l'injection, la énième pour l'adolescent, était nécessaire pour le ramener au calme mais aussi d'une certaine manière lui signifier notre refus de tolérer de tels actes, le ramener vers le cadre.
Nous étions tous d'accord pour mettre des limites.
Même Germaine était d'accord.
Mais pas de la même manière.

Germaine était un peu en marge dans l'équipe, une des plus âgées mais aussi une des plus douces. Forte d'une grande expérience que nous avions parfois tendance à oublier, elle travaillait dans une grande proximité avec les patients, ce qui gênait certains collègues qui la qualifiaient de mère poule, ou d'infirmière trop souple… Par ailleurs elle avait une fâcheuse tendance à s'affranchir des règles habituelles de fonctionnement en bien des points.
Quoi qu'il en soit les patients l'appréciaient grandement et se sentaient rassurés de la savoir présente dans le service.
D'ailleurs, sauf exception, il y avait peu d'agitation ou de tension quand elle était en poste. Son pouvoir apaisant était indéniable.

En attendant, moi j'avais mal au genou et Germaine, sympa ou pas, m'avait coupé l'herbe sous le pied…
Car nous n'avions pas prévu cela.
Et que faire maintenant?
Laisser Anderson se promener dans le service après tout ce qui s'était passé?
Sans sanction? Sans cadre rassurant? Sans plus rien?

Par terre et je regardais la scène.
Je regardais Germaine.
Elle était assise désormais sur le lit de la chambre d'Anderson avec lui. De ses mains bienveillantes, elle le réconfortait, l'enveloppait et le rassurait.
Et il pleurait… Et il lui parlait…
Après plusieurs longues minutes le jeune garçon avait pu dire les raisons de sa souffrance et faire le lien avec sa forte colère interne.
Il était maintenant parfaitement calme et s'excusait à demi-mot avec une authenticité certaine.
Germaine avait pris les choses en mains, il n'avait pas été sanctionné mais au contraire marterné et rassuré. Le reste de la soirée s'était très bien passé, elle était restée près de lui, puis il avait eu un sommeil d'excellente qualité, ce qui était rare.

C'est pendant cette fin d'après-midi là, à moitié couché par terre, incrédule et perplexe, que mon égo a brutalement souffert encore plus que ma jambe.
Il a souffert car Anderson lui parlait comme jamais il ne m'avait parlé.
Et comme jamais il ne nous aurait parlé pour s'apaiser ensuite si nous étions allés l'attraper tout à l'heure…

En fait mon égo a surtout souffert parce que je n'avait pas suivi Germaine, ni aujourd'hui, ni les jours d'avant.
Il a souffert parce que j'étais certain alors que j'avais tort devant l'évidence. Parce que j'avais trop tardé à voir Germaine.
Il a souffert parce que j'étais passé à côté de Germaine sans la voir.
Et en passant à côté de Germaine, j'étais passé à côté d'Anderson.

Oui Germaine avait raison de croire dans la force du lien, avec ses mains tendues, avec ses sourires et avec le temps qu'elle passait avec les patients.
C'était devenu évident.
Car si elle avait pu approcher ce soir là ce patient agressif, c'est parce qu'elle avait déjà été vers lui avec douceur hier. Et avant-hier. Et avant-avant-hier… Jour après jour elle avait créé un lien fort avec lui, comme avec les autres.
Elle aimait les patients, elle savait leur parler, allait beaucoup vers eux, les connaissait et était de fait presque une des seules à pouvoir les approcher en cas de crise, et sans danger. Elle était devenue pour eux un repère qu'ils recherchaient dans les moments les plus angoissants.
Oui il était une fois, un genou à terre, et un égo en question…
Car finalement pourquoi cette histoire?
Parce qu'une question importante semble en surgir :
Pourquoi Anderson mais aussi d'autres patients nous agressent-t-ils alors qu'ils vont vers d'autres soignants de façon apaisée, avec le sourire parfois, en confiance souvent?
La maladie? Le clivage? La propre responsabilité des soignants par leurs attitudes? Le fonctionnement de l'institution?

Et si la réponse était Germaine….
Pour certains dans l'équipe elle était une gêne…
Pour d'autres elle était une force.
Et si elle était une réponse?

Avec le recul, quelle que soit la question, je répond et je vote Germaine.
Je dois bien ça à mon genou.

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(Évidemment toute ressemblance…!!!)

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