dimanche 7 juillet 2019

Des cheveux blancs pour Noël.


Il était une fois, (épisode 24), un dimanche, en psychiatrie, des cheveux blancs pour Noël.

Noël approchait à grands pas et nous avions souhaité consacrer cette après-midi dominicale aux décorations dans le service. Un atelier “déco” improvisé avait ainsi été ouvert à tous les patients et beaucoup d'entre eux avaient pu laisser libre cours à leur imagination pour fabriquer guirlandes, étoiles et autres boules de noël en polystyrène.
L'ambiance était à la bonne humeur et chacun avait raconté avec nostalgie ses souvenirs les plus heureux de sapins parfumés, de cadeaux au réveil ou de chocolats fondants. 

Notre service accueillait une vingtaine de patients hospitalisés sous contrainte et restait fermé jour et nuit. Ce temps de création avait été un moment d'évasion apprécié par la plupart des malades qui ne pouvaient pas sortir, depuis longtemps pour certains.
Était-ce la magie de Noël? Autour des tables que nous avions rassemblées, tous assis en cercle, les uns à côté des autres dans la convivialité, nous semblions oublier nos différences de statut, entre ceux qui portaient la blouse blanche, et ceux qui ne la portaient pas. Nous étions tous à cet instant-là des grands enfants émus qui replongeaient des années en arrière pendant quelques heures.
Il ne manquait plus que la neige. 

Malheureusement, peu de temps après ce temps privilégié, le bel esprit de ce jour-là avait vite disparu après que nous ayons accroché toutes les décorations et rangé le matériel.
En effet, malgré les mille lumières, les couleurs vives et les nombreux reflets qui illuminaient désormais le service, c'était la noirceur de mes illusions brutalement envolées qui m’avait envahi soudainement.
Car une paire de ciseaux avait disparu. 

Notre vigilance avait-elle été moindre du fait de notre excitation fébrile devant tous ces papiers brillants, ces étoiles de crépon et ces rubans éclatants?
Mon incapacité honteuse à produire une quelconque guirlande qui ait un air de guirlande avait-elle troublé mon esprit?
Quoi qu'il en soit, il nous manquait un outil coupant, probablement subtilisé par un patient, et l’heure était grave.
Dans un service de psychiatrie accueillant des patients susceptibles de se faire du mal, il était impensable de laisser un objet potentiellement dangereux à la portée de tous et nous devions absolument le retrouver. 

J'avais alors regroupé la plupart des patients peu avant l'heure du dîner pour tenter de récupérer l'objet du délit. Mais le seul tranchant que j'avais pu ressentir avait été celui des remontrances acérées de ceux qui ne comprenaient pas mes évocations de sanctions en cas de non-retour des ciseaux. En effet, avec une maladresse évidente, j'avais fait preuve d’une fermeté certainement malvenue en voyant que le groupe restait muet et l’outil introuvable. J’avais ainsi, sans le vouloir, déclenché les foudres des dix-neuf patients qui n'avaient rien volé et qui ne comptaient pas souffrir de quelques sanctions par la faute d’un vingtième, coupable lui du méfait.
J'avais, il est vrai, expliqué la gravité de la situation et la possibilité que nous avions de procéder à des fouilles dans les chambres ou de mettre en place des restrictions de liberté dans le quotidien du service, comme par exemple la suppression de certains ateliers. Mais mes mots avaient produit l’effet inverse de celui attendu.

Pris dans une subite tempête de tension et de quelques insultes diffuses, comme un imprévu blizzard de décembre, je peinais à calmer les esprits déçus et même ulcérés par la tournure désastreuse que prenait cette journée jusqu’ici douce et belle.
Et, alors que les guirlandes semblaient danser sous le souffle de colère qui embrasait lentement le groupe de patients, je me souvenais de mes lointains Noëls en Ariège, dans les Pyrénées…
Je revivais les veillées impatientes, les nuits agitées, les réveils pressés et les courses folles de l'enfant que j'étais vers les cadeaux le matin. Je me souvenais de l'odeur du sapin et des étoiles dans mes yeux.
Ces mêmes étoiles qui avaient brillé dans les yeux de mes patients, quand ils confectionnaient avec patience et méticulosité les décorations qui allaient égayer le service, et que j’avais éteintes. Je n'aurais pas aimé moi-même qu'à l'époque quelqu'un ne vienne m'enlever ces étoiles comme je venais de le faire aux patients.

Nous avions perdus les ciseaux, la tension grandissait dans le service, les guirlandes étaient belles, et il ne neigeait toujours pas. 

Finalement rien n'avait changé, nous restions tous des enfants émerveillés quand Noël approchait, et tristes quand il s'éloignait. Seuls quelques cheveux blancs venaient nous rappeler les années passées. Ces maudits cheveux blancs que l’on découvre un par un, et avec émotion chaque matin, toujours un peu plus nombreux. Un par un, comme s’ils venaient cruellement nous rappeler nos Noëls oubliés.
Mais heureusement, même si les miens étaient loin, leur magie persistait, car Germaine, comme un miracle, était venue m’aider encore. 

En quelques mots, elle avait apaisé tout le groupe en dédramatisant la situation et en promettant qu’il n'y aurait aucune sanction pour personne. Puis elle était sortie fumer quelques cigarettes avec les patients pendant de longues minutes.
À nouveau je m'étonnais de la légèreté avec laquelle ma vieille collègue appréhendait les situations qui m'inquiétaient au plus haut point.
Qu'allait-il advenir des ciseaux?
Comment comptait-elle gérer cette problématique? 

Les réponses à mes questions anxieuses n'avaient pas tardé à venir, car peu de temps après tout cela, elle était revenue vers moi avec la paire de ciseaux dans les mains…
J'étais presque sidéré. 

Elle m'avait plus tard expliqué qu’elle avait continué à parler avec eux de Noël, des leurs et du sien et qu’elle avait tenté de les rassurer et de les apaiser. Puis elle leur avait simplement dit ses inquiétudes quant aux ciseaux perdus et son besoin de les retrouver pour être plus sereine.
Deux patients, apparemment touchés et dans une très bonne relation avec elle, étaient alors allés convaincre l'auteur du larcin qu'ils connaissaient de rendre l'objet. Il l'avait pris et comptait le garder pour découper des draps pour en faire des ceintures à tous les patients aux pantalons trop larges.
Pour Germaine, avait-il dit, il avait rendu les ciseaux.
“Christophe, peut-être as-tu été trop catégorique ou brutal quand tu leur as parlé. Peut-être as-tu crispé les esprits de quelques-uns. Je leur ai demandé la même chose que toi, mais en douceur et sans tension de ma part. J’ai passé du temps auprès d’eux et ils m'ont rendu les ciseaux.” m'avait-elle expliqué. 

Germaine avait raison.
Elle ne parlait que du lien. Du lien que je la voyais créer et entretenir depuis son premier contact jusqu'au dernier avec chaque patient, mais aussi pendant les situations de crise comme cela avait été le cas ce jour-là.
“En douceur et sans tension…”
Ce n'est pas toujours facile mais depuis cette journée, j'essaie d'être doux et sans tension, en toute circonstance.
J'essaie, pour l’esprit Noël, pour la neige qui ne tombe pas toujours, pour Germaine, pour les patients, mais aussi pour moi, grand enfant avec des cheveux blancs. 

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(Évidemment toute ressemblance…!!!)

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